Pour répondre à cette question, il faut déjà se demander si nous pouvons vraiment faire confiance à notre mémoire et à nos souvenirs. Pendant longtemps la mémoire a été perçue comme un disque dur ou un magnétophone qui enregistre fidèlement des informations pour les restituer de manière intacte. Mais la mémoire n’est pas aussi fiable que l’on souhaiterait.

La mémoire réécrit l’histoire : les faux souvenirs

Parfois nous oublions, parfois nous embellissons certains souvenirs; nous les reécrivons constamment en quelques sorte sous l’influence du temps qui passe, des situations, des autres.

Tout le monde peut être concerné par cette problématique, les victimes collatérales d’un événement traumatique, les juristes, donc toute personne qui peut être intéressé par retrouver des souvenirs perdus.

Elizabeth Loftus, professeur en psychologie à l’Université de Washington a montré qu’on peut facilement suggérer des faux souvenirs par manipulation mentale. Ce qu’elle appelle des faux souvenirs enrichis sont des souvenirs autobiographiques vrais dans lesquels on a introduit des faux souvenirs, certains vraisemblables certains invraisemblables.

Pour exemple, dans les années 1990, elle a mené une série d’expériences sur des adultes dans laquelle des expérimentateurs racontaient à des sujets adultes, qu’à l’âge de 5 ans, ils s’étaient perdus au supermarché.
Pour cela, les expérimentateurs donnaient le nom du supermarché, la date de l’événement et prétendaient que l’aventure avait été relatée par leurs parents.

  • 25% des personnes testées finissaient par affirmer se rappeler parfaitement de l’événement !
  •  Et parmi elles, 50% donnaient même des détails pour confirmer ce récit, pourtant totalement fictif.

The Bunny’s effect

Dans les années 2000,  Elisabeth Loftus a réuni quatre groupes de personnes à qui elle proposait d’évaluer un film publicitaire après un voyage à Disneyland.
Le premier groupe visitait le parc puis visionnait un film publicitaire neutre
Le deuxième groupe visitait le parc mais on disposait, durant le film publicitaire, une figurine de 1,20 mètre représentant Bugs Bunny dans la salle de projection.
Au troisième groupe, on montrait un film publicitaire dans lequel un personnage évoquait oralement la présence de Bugs Bunny.
Et au quatrième groupe, on montrait la figurine de 1,20 mètre de Bugs Bunny et on ajoutait la référence à Bugs Bunny dans le film publicitaire.

Lorsqu’on a interrogé par la suite la totalité des participants : 40% ont affirmé avoir rencontré le personnage de Bugs Bunny lors de leur visite à Disneyland !
Or, le personnage de Bugs Bunny ne pouvait se trouver à Disneyland, puisquil est la figure emblématique des studios Warner Bros, principal concurrent.

Encore plus étonnant, lors d’un entretien postérieur, 50% des participants de ce groupe affirmaient avoir  serré la main de bugs Bunny et enrichissaient le récit de détails précis sur le moment de cette rencontre… qui n’avait jamais eu lieu.

La mémoire est donc un processus de construction.

 

Quand on met en mémoire, on construit des souvenirs en fonction de nos valeurs, de nos buts, de nos conflits et de la même manière, quand on récupère un souvenir on récupère ce qui correspond à nos buts à nos croyances à nos valeurs. On est bien loin de la métaphore du disque dur ! On construit nos souvenirs.

Revivre des émotions ou le phénomène de l’inflation de l’imagination

Elisabeth Loftus remarque donc que lorsque dans ses expériences, elle et son équipe ont décidé d’introduire des faux souvenirs dans la tête des gens, c’était vraiment facile à faire. Non seulement les sujets étaient capables de restituer ces faux souvenirs mais qu’en plus, ils étaient complètement capables de revivre les émotions liés au faux événement. Elle appelle ce phénomène, l’inflation de l’imagination.

Elisabeth Loftus a montré que les faux souvenirs peuvent être créés avec les mêmes techniques utilisées par certains thérapeutes pour la recherche des souvenirs refoulés (imagerie guidée, interprétation des rêves etc… )

Alors, peut on retrouver ses souvenirs enfouis sous hypnose ?

Cette idée est très répandue et chaque année, les demandes qui me sont faites et qui abondent dans ce sens sont nombreuses. Pourtant c’est aussi une idée assez fausse.

En réalité, rien ne garantit que les souvenirs qui émergent au cours d’une séance d’hypnose soient réels.

Ils peuvent être en totalité ou partiellement construits. L’hypnose ne permet pas de retrouver des évènements du passé oublié.

En revanche, il est très intéressant de pouvoir travailler en hypnose sur la perception que le patient a d’un vieux souvenir. Grâce à l’hypnose il est possible de traiter un évènement traumatique et de moduler l’intensité de l’émotion associée. En utilisant ce type de méthodes, on va pouvoir observer de très bons résultats dans le traitement des traumas bien sûr, mais aussi des phobies, des troubles de l’attachement ou même de la douleur chronique.

 

En conclusion, il y a une possibilité et même un avantage à travailler en hypnose sur ses souvenirs enfouis mais pas de la façon dont on pourrait le croire. La transe hypnotique est un atout intéressant pour manipuler l’intensité émotionnelle d’un événement et permettre soit de s’en libérer, soit d’en profiter dans le cas d’expériences heureuses.
Et c’est d’ailleurs cette réécriture partielle de nos souvenirs qui est thérapeutique sous hypnose.
En accrochant un détail, en revivant d’un point de vue différent les faits, le patient épouse une perception différente qui favorise le changement. Cependant l’hypnose ne peut surtout pas être utilisée pour retrouver un fait réel et surtout pas pour recueillir des témoignages et des informations comme on l’a cru dans les années 1970, ce qui a conduit malheureusement à faire accuser des innocents.

Références

Droit américain : 1. 16 A.L.R.5th 841 : Sufficiency of evidence that witness in criminal case was hypnotized, for purposes of determining admissibility of testimony given under hypnosis or of hypnotically enhanced testimony 2. 77 A.L.R. 4th 927: Admissibility of hypnotically refreshed or enhanced testimony 3. McCormick on Evidence, Relevancy and Its Counterweights, Experimental and Scientific Evidence, Particular Tests: Psychology: Lie Detection, Drugs, Hypnosis, Eyewitness Testimony, Profiles, and Syndromes 4. Modern Scientific Evidence, Chapter 19 on Hypnosis p 713

Droit français : 1. Recueil Dalloz. 2001, p. 1340, D. Mayer et J.-F. Chassaing : Y a-t-il une place pour l’hypnose en procédure pénale ? 2. Jemma-Jejcic M. Psychanalyse et hypnose en 2003. L’Information Psychiatrique 2004 ; 80 : 17-24. 3. Puigelier, Catherine, JCP G Semaine Juridique (édition générale), n° 12 , 21/03/2001 , pp. 611-613, Jurisprudence II 10495 4. Revue de science criminelle 2001 p. 610, Témoignage sous hypnose ou expertise hypnotique ? (Cass. crim., 12 déc. 2000), André Giudicelli

Loftus, E.F. (Nov 2003). “Make-Believe Memories” (PDF). The American PsychologistAmerican Psychologist58 (11): 867–73.

 

 

 

 

 

A propos de Roseline Bueder

Entre deux consultations, je m'adonne à la fouille psychologique d'insolites, que j'expose dans mes articles de blog et sur ma page Facebook. Psychologue, Hypnothérapeute et ex-chercheur en neurosciences comportementales, je dispense mes conseils et astuces pour mieux vivre votre quotidien.